EN CES TEMPS DE FERMAGE

Ils s'appelaient Louis, Per-Yann, Tual ou Corentin. Paysans de père en fils. Ils vivaient au rythme du soleil, de la pluie, du vent, du gel.. Bon an, mal an, une année bonne, l'autre non, ils se pliaient aux lois de la nature. Paysans, hommes de pays, de père en fils semant, plantant, creusant des fossés, bâtissant des talus, ils ont opiniâtrement modelé la terre.

Louis, Per, Isidore ou Fanch... Il étaient fermiers en 1886 sur les terres d'un riche tenancier. Bon an, mal an, le 29 septembre de chaque année ils devaient payer en "espèces sonnantes" le prix de leur fermage. En outre ils avaient le devoir de fournir "un nombre à déterminer de kilogrammes de paille de froment ou d'orge, bien récoltée, qu'ils feront botteler et transporter à leurs frais jusque dans la cour du château", et également "un nombre à déterminer de kilogrammes de beurre de première qualité, bien préparé, lavé et non salé". Les fermiers feront aussi, à la réquisition du propriétaire, un certain nombre de journées de charrettes ou de charrue avec un bon attelage.

Aux fermiers les frais de réparation des bâtiments, des barrières, des douves et des chemins. Aux fermiers l'entretien des arbres à fruits comme ceux de haute futaie ainsi que la création d'une pépinière de "vingt-cinq pommiers, dix guigniers et dix pruniers". Et "tout arbre qui viendrait à périr par leur faute sera remplacé à leurs frais, tout arbre demeuré dégarni entraînera une amende."

Les fermiers ne pourront avoir sur leur métairie ni bouc, ni chèvres. Leurs porcs devront être épinglés de façon qu'ils ne puissent fouiller la terre. Ils n'auront de taureaux et de chevaux entiers que par tolérance. Ils ne pourront chasser sur leurs terres ni posséder de chien de chasse, par contre ils s'engageront à avoir "un bon chien de garde d'une forte taille."

Il est aussi "interdit aux fermiers de cultiver d'autres terres que celles qui leur sont louées, quand bien même elles leur appartiendraient à eux ou à leur parents. En cas de contravention à cette clause le propriétaire aura le droit de résilier le bail à la Saint Michel suivante".

Amendes, contraintes, redevances, devoirs, impôts, interdictions, etc. Saisissante litanie relevée sur un cahier des charges de 1886.

Ils s'appelaient Louis, Victor, Emile ou Martin. Courbés sur ces terres, celles qu'au fond de leur coeur, ils appelaient "Ma terre", ils ont donné leur force, leurs années et aussi leur amour. Ils ont vécu là, bon an, mal an, ils ont fondé une famille mais ils nous ont, en plus, laissé un héritage. A travers ce regard que chaque jour nous portons sur l'infini de notre campagne ils nous ont légué "le paysage" et ce qui reste de leur oeuvre, pourtant soumise et obscure, c'est aussi notre patrimoine.

 

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