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Tante Marjannick Vraz par Jean FAILLER Les parents de mon grand père Jean Noël tenaient une petite ferme à Combrit, à proximité de la chapelle de la Clarté. C'est là qu'il naquit, le 19 mars 1882. Comme tous les fermiers du coin, il fréquentait le marché de Pont-L'Abbé où il allait vendre les produits de la ferme et acheter ce que l'exploitation ne produisait pas. Il avait l'habitude d'attacher son cheval dans une cour d'auberge où travaillait une jeune servante originaire de Plonéour Lanvern, Anne-Marie Le Clorennec qui devait devenir ma grand-mère. C'est l'amour qui ramena grand-père à
Plonéour, village d'où tous ses ancêtres étaient originaires, son père
n'étant venu à Combrit qu'à l'occasion de son remariage - après un veuvage
-, avec une veuve déjà pourvue d'une fille, Marjannick Vraz, aînée de mon
grand-père ainsi nommée parce qu'elle était d'une stature et d'une force
colossales. Marjannick Vraz eut une fille, elle aussi de haute taille, que l'on prénomma comme sa mère Marjannick Vraz, prénom auquel on ajouta, pour la commodité, l'adjectif "bihen". Marjannick Vraz Vihen. Voilà qui est compliqué à traduire : la petite Marie-Janne grande, petite. En breton c'est limpide, en français, pour le moins nébuleux. Lors de son mariage grand-père n'oublia
pas d'inviter ses copains de Combrit, en particulier un nommé Noël Kerviel,
"batelier", qui déclara ne pas savoir signer. Son fils Jean, lui, pilotait " la reine de l'Odet" ancêtre des Aigrettes, qui promenait les touristes sur la rivière, entre Quimper et Bénodet. De temps en temps, avec sa complicité, quelques membres de la famille se mêlaient aux estivants pour faire la balade "à l'oeil". Nous allions aussi visiter tante Marjannick Vraz (qui avait perdu son adjectif "vihen" depuis que sa mère était morte) à Sainte-Marine. Elle habitait une petite maison du côté de Kérobistin et nous accueillait toujours avec beaucoup de chaleur. Néanmoins, cette femme immense, encore plus immense par la haute coiffe qu'elle arborait me faisait peur. Elle avait des mains comme des battoirs et une voix rude. Elle m'empoignait et me levait au dessus de sa tête en riant. Moi, j'avais le vertige et je n'en menais pas large. J'avais quatre ans, je venais d'avoir un
petit frère. Elle me disait : Déjà à cet âge, l'esprit de famille
était plus fort que le désir d'un "joli vélo rouche". Je criais : Un jour, j'eus mon "joli vélo rouche" sans avoir à livrer mon petit frère à la géante. Las, il était dépourvu de stabilisateurs, il fallait que mon père me tienne pour m'empêcher de tomber. Je m'en fus, tout fier, le montrer à tante Marjannick Vraz. Elle l'admira fort, puis d'une seule main me mit en selle. Le sentier de Kérobistin descendait en pente vers l'estuaire, parmi les rhododendrons. - Va, criait-elle, je te tiens ! Et j'allais même drôlement vite. J'avais l'impression magique d'avoir découvert tout soudain quelque fabuleux secret. Et quand le sentier remonta, le vélo s'arrêta de lui même. A cinquante mètres de là, en haut du sentier, tante Marjannick Vraz était secouée d'un rire homérique qui résonnait sous la voûte des grands arbres. Elle m'avait lâché dès le début, j'avais parcouru tout le chemin sans aucune aide ! Une frayeur rétrospective me glaça le coeur un instant. Un autre instant je fus mortellement vexé d'avoir été ainsi joué, sentiments fugaces qui s'estompèrent bien vite, remplacés par une énorme vague de triomphe : je lui souris, puis je remis le vélo dans la descente et repartis vers elle. Tante Marjannick Vraz venait de m'apprendre à tenir sur un vélo ! |
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